Sur les 3 000 hectares léchés par l’incendie d’octobre 2011, tout n’est pas parti en fumée. L’abattage des arbres calcinés a commencé, mais des dizaines de milliers de mètres cubes de bois mort menacent de pourrir sur place faute d’acheteurs.
«Les larmes aux yeux.» L’Avironnais Ignace Hoareau n’est pas le seul à prononcer ces mots lorsqu’il évoque son retour dans la forêt du Maïdo et le spectacle de désolation que proposent les vastes étendues noircies par l’incendie d’octobre 2011 (près de 3 000 hectares). Un an plus tôt, les flammes avaient déjà ravagé 800 hectares. Dix mois après, les tâches de couleurs apportées par quelques touffes d’herbes au milieu des cendres ne parviennent pas à dissiper ce sentiment de gâchis car un autre «gaspillage» est en train de se jouer sur les lieux du sinistre : les arbres calcinés qui étaient restés debout doivent évidemment être abattus mais les troncs restent sur place faute d’acheteurs pour en faire du bois d’oeuvre ou du bois de chauffe.
Ignace Hoareau, le patron de TPSA (Terrassement et préparation de sol agricole), assiste avec dépit à cette deuxième mort de la forêt. Il y a deux mois, sa jeune entreprise, spécialisée dans les interventions mécaniques acrobatiques, a obtenu son premier marché de bûcheronnage et d’abattage de 3 hectares pour dégager une bande de trente mètres de large le long de la route forestière. L’ONF pouvait ainsi sécuriser l’accès public de la forêt afin de la rouvrir aux touristes. Ce qui a été fait avant les vacances. Et TPSA améliorait son savoir-faire sur des arbres sans grande qualité marchande dans l’espoir de devenir plus tard l’un des bûcherons réguliers de l’Office. Elle espérait aussi pouvoir vendre le bois abattu. Hélas, le bois coupé ne trouve pas d’acheteurs.
«Il est urgent
de couper»
Tant et si bien qu’Ignace Hoareau se retrouve à devoir transformer lui-même les arbres abattus. Il a acheté une machine pour fabriquer des planches et des poutres. Il envisage de produire des copeaux pour les élevages. Mais ce n’est pas son métier. Il a l’impression de perdre du temps. «On importe 90% de notre bois d’oeuvre à La Réunion (Ndlr : et ce pourcentage tombe sous les 5% lorsqu’on considère les bois déjà ouvragés), je ne comprends pas pourquoi la scierie de Bourbon refuse les bois que je leur propose. En fait, ils ne veulent découper que du beurre», déplore-t-il. Le fait est que les bois de 2e et 3e classes représentent la grande majorité de la coupe des arbres incendiés et Sciage de Bourbon ne coupe en effet que les bois de 1er choix.
Sur le chantier de l’après-incendie, quelques bûcherons s’affairent encore aux abords de la route forestière pour les besoins de leur formation. Leur professeur pyrénéen, Sylvain Bastida, jauge les troncs abattus : «Il est urgent de couper, remarque-t-il. On trouve encore de la sève dans les souches, c’est la preuve que ce bois a de la valeur mais il est en train de mourir et dans un an, il ne vaudra plus rien. Sur un cryptomeria de 18 mètres les 4 premiers mètres peuvent être de 1re classe mais au-delà, c’est tordu et trop petits».
En plus, la quantité est exceptionnelle et la filière bois réunionnaise est pour l’heure incapable d’absorber cette matière première. Et le temps presse. «Nous coupons prioritairement le cryptomeria car il tient moins bien le coup que le tamarin, explique Alexandre Rivière, agent patrimonial de l’ONF de la côte sous le vent. Dans un an il ne vaudra plus rien.» Le pire serait évidemment de laisser le bois mort sur place. «Ce serait un terrain favorable au développement des pestes végétales mais surtout une véritable poudrière, le risque d’incendie serait au plus fort», relève Pierre Sigala, le responsable territorial.
Des pancartes
pour prévenir
les voleurs
Que faire alors des bois de 2e et 3e classe qui envahissent les abords des routes forestières? Il y en a tant que les entassements commencent à attirer les curieux et l’ONF a placardé des panneaux pour prévenir que le vol est puni de lourdes amendes et d’un emprisonnement de trois années. C’est une façon de respecter le travail des agents et des titulaires de contrats aidés qui l’ont coupé et acheminé jusqu’à la route. Mais le casse-tête demeure sa vente. À défaut de devenir meuble ou charpente, ce bois pourrait au moins devenir litière d’élevage (c’est écologique et en conformité avec les normes européennes), ou charbon de bois, ou feu de cheminée…
L’ONF vend le stère (équivalent à un peu moins d’un mètre cube) au prix de 32 euros lorsqu’il est sur le bord de la route et qu’il n’y a plus qu’à l’embarquer dans son véhicule. Mais ceux qui décident de venir eux-mêmes couper leur bois ne paient le stère que 6,50 euros. Si jusqu’à présent les rondins du Maïdo arrivaient à trouver bon an mal an leur place dans les cheminées des Hauts en hiver, dans les barbecues et les cuisines au feu de bois. La quantité exceptionnelle fournie par les parcelles incendiées n’a pas encore trouvé de débouchés.
De nouvelles
pistes
à construire
Et ce sera pire pour les parcelles brûlées qui sont trop éloignées des axes routiers. Aussi l’ONF espère que l’ouverture de nouvelles pistes pourra rapidement se réaliser grâce au financement de la Région. «On n’a pas encore trouvé de marché pour les quelques dizaines de milliers de mètres cubes de bois incendiés qui sont accessibles et il nous reste plus de 50 000 mètres cubes de bois incendiés qu’il faut rendre accessible», prévient Pierre Sigala.
Le nettoyage de la forêt brûlée s’avère encore plus difficile que ne l’ont imaginé les collectivités locales qui ont embauché des «contrats aidés» pour l’effectuer. Sept équipes de huit personnes du GCEIP (Groupement pour la conservation de l’environnement et l’insertion professionnelle) sont venues renforcer la centaine de personnes déjà affectée à l’entretien et à l’exploitation forestière. Mais ces ouvriers peu qualifiés touchent la limite de leurs compétences car le métier de bûcheron est particulièrement exigeant. En plus d’être compliqué, le traitement des arbres morts n’est pas rentable. Le patrimoine mondial risque de devenir un enchevêtrement d’arbres morts, un dangereux jeu de Mikado.
Franck CELLIER
Espoirs de futurs bûcherons
Contrairement à la situation métropolitaine, les actions de l’ONF sont à La Réunion davantage orientées vers la protection de la forêt et son aménagement touristique que vers son exploitation. On s’y promène plus qu’on y bûcheronne. Le nettoyage du Maïdo après les incendies catastrophiques de ses deux dernières années révèle une pénurie de professionnels pour couper les arbres en grande quantité. C’est en tout cas ce que constate Gilbert Mardaye dont le centre de formation MGF a formé cette année sa première promotion de onze bûcherons après avoir formé des élagueurs grâce aux financements d’Agefos et d’Uniformation.
Un travail difficile
«Les contrats aidés qui nettoient la forêt n’ont pas la compétence d’abattre des arbres, c’est trop dangereux», dit-il. «C’est vrai, ajoute Sylvain Bastida, le formateur en techniques forestières venu exprès de Vic-en-Bigorre dans les Hautes Pyrénées. Ici on sait tomber les bois mais pas les abattre.» MGF a installé son chantier école sur les zones brûlées du Maïdo. Pendant onze semaines, deux femmes et neuf hommes y ont appris le maniement de la tronçonneuse, du tournebille, de la masse et du coin d’acier. En novembre, ils seront évalués au lycée de Vic-en-Bigorre avec la perspective de s’y voir décerner le brevet professionnel agricole de travaux forestier, option bûcheronnage.
Abattre un arbre, le faire tomber à l’endroit désiré et en tronçonné les branches exigent une grande technicité. «Il faut acquérir des notions strictes en matière de sécurité, de protection de l’environnement et de respect de la qualité du bois», explique Sylvain Bastida. Les apprentis bûcherons ont ainsi nettoyé les bords de la route forestière en évitant que les troncs tombent dessus. Après leur passage, les grumes sont bien rangées, perpendiculaires au chemin bétonné. «Les emplois aidés ne pouvaient pas faire ça, ils nous ont laissé le plus difficile, reprend Gilbert Mardaye. Ils ont travaillé dans des fortes pentes sur des cryptomerias emmêlés, heureusement que des experts les encadraient.»
Ecouler cette matière première
L’investissement a été conséquent pour mener à bien une telle formation. L’équipement complet avec combinaison anticoupure, chaussures de sécurité et casque coûte plus de 500euros par personne. Les futurs diplômés espèrent trouver du travail à l’ONF ou exercer à leur compte dans l’optique de pouvoir vendre le bois récolté. MGF veut croire en l’avenir du métier et teste en temps réel les perspectives de développement puisque le bois aligné en bord de route lui appartient. Comme les autres exploitants de la forêt, le centre de formation est confronté à la difficulté d’écouler cette matière première.
«Nous en avons beaucoup discuté pendant le stage, relate le formateur pyrénéen. La forêt est là. Mais il faudrait une volonté de la force publique pour donner les moyens de développer le marché du bois. Mes stagiaires ont acquis un bon niveau. Je pense que la plupart d’entre eux obtiendront leur BPA et pourront gagner leur vie comme bûcheron.» «Après le bûcheronnage, nous lancerons en toute logique une formation de débardage car une fois qu’on a coupé les arbres, il faut apprendre à amener le bois jusqu’au bord de la route. Je ne fais pas de la formation pour faire de la formation, insiste Gilbert Mardaye. Il faut que ça mène à quelque chose, je me battrai pour trouver des débouchés.»
Sylvain Bastida : «Mes stagiaires sont capables de devenir de bons bûcherons mais il faudrait une volonté de la force publique pour donner les moyens de développer le marché du bois». Gilbert Mardaye : «Je ne fais pas de la formation pour faire de la formation. Il faut que ça mène à quelque chose, je me battrai pour trouver des débouchés».
La piste du bois d’énergie
Lorsqu’Alfred Bertoloti a pris ses fonctions de forestier sur le secteur sud de la forêt du Maïdo, l’activité du bois d’énergie était complètement informelle. Les charbonniers et autres utilisateurs de bois de chauffe se «servaient» tout simplement. «Aujourd’hui, j’établis 186 factures, raconte-t-il. Il est difficile d’estimer ce que ça représente en volume ; peut-être 1 500 mètres cubes, peut-être trois fois plus… Mais c’est la preuve qu’il y a de quoi faire, qu’il y a beaucoup de gens motivés pour aller cueillir du bois. Plus que les 11 000euros que ça rapporte à l’ONF, ça nous permet surtout de nettoyer la forêt.»
La Réunion
pourrait être
autonome
Ce secteur d’activité du bois d’énergie est embryonnaire et ne peut hélas pas «nettoyer» toutes les zones touchées par l’incendie. À peine une dizaine de familles sont impliquées dans le charbon de bois. Leur équipement est rudimentaire, sans tracteur, sans treuil, bref, sans mécanisation. Leurs camions à plateau et pick-up ne peuvent guère pénétrer profondément dans la forêt. Dans de telles conditions, leur travail ne risque pas de les enrichir. Et leur marché se limite à quelques sacs de charbons de «bois pays» vendus sur les marchés ou dans certaines stations-service, à l’approvisionnement des grilleurs de poulet sur le bord des routes et à leur environnement familial.
Du biogaz
à partir du bois
«C’est dommage que La Réunion ne soit pas capable d’être autonome en charbon de bois, déplore Alfred Bertoloti. On aurait en tout cas la possibilité de le devenir grâce aux acacias qui peuvent produire 20 mètres cubes de bois par an et par hectare. Il suffirait de cultiver les zones où cette peste végétale s’est installée.» L’acacia a en effet longtemps été considéré comme une peste envahissante mais les forestiers le regardent désormais plus positivement et parlent de le cultiver.
Les débouchés iraient du charbon de bois aux cheminées des particuliers en passant par la cuisine au feu de bois et le chauffage des logements sociaux des Hauts. À la Plaine-des-Cafres, par exemple, le bailleur social Sodegis a installé des cheminées à inserts dans les appartements. En plus de réchauffer les locataires, ce système évite le pourrissement des bâtiments par l’humidité. À la Petite-France, l’agriculteur Maxime Hoarau ambitionne de produire du biogaz à partir du bois.
Il était également imaginable de fournir les chaudières des centrales thermiques du Gol et de Bois-Rouge avec tous les surplus de bois qui envahissent aujourd’hui les parcelles incendiées. Mais l’opération nécessiterait des aménagements pour lesquels les producteurs d’électricité ne sont «ni volontaire, ni demandeur» selon Pierre Sigala.
Aujourd’hui le charbon de bois qui cuit les caris et les grillades réunionnaises vient essentiellement des forêts d’acacias d’Afrique du Sud. La matière première nécessaire à une filière locale est à portée de main, encore faut-il organiser ses différents acteurs pour la cueillette, le stockage et la commercialisation.
Le charbon de bois vient essentiellement des forêts d’acacias d’Afrique du Sud alors que les forêts réunionnaises pourraient fournir tout le marché local.
Mauvais timing pour le bois d’oeuvre
2012 est une grande année pour le cryptomeria. L’institut technologique FCBA (Forêt cellulose bois construction ameublement) a conclu que cette essence introduite par l’homme – tant décriée par les écologistes pour son effet sur la forêt primaire – présente toutes les qualités pour être utilisée comme bois d’oeuvre. Dans les semaines ou mois qui viennent, les planches et poutres en cryptomeria devraient se voir accorder la norme NF pour être utilisées pour tous types de constructions et ne plus être cantonnées au bardage et au coffrage. C’est une petite révolution dans le monde des menuisiers et charpentiers.
2012, c’est aussi l’année de la surabondance à cause des incendies du Maïdo. TPSA a ainsi pu espérer profiter de l’aubaine en coupant les premiers cryptomerias de l’opération «post-incendie» même si une grande partie du bois récolté est de qualité médiocre. Hélas, le marché local n’est pas prêt à absorber des milliers de mètres cubes supplémentaires de crypto. Sera-t-il prêt avant que les arbres tués par l’incendie ne pourrissent totalement? Probablement pas. Le sera-t-il un jour? Peut-être.
Le crypto
tueur de termites
La question est posée à la scierie saint-joséphoise Tseng King. Cette entreprise est l’un des principaux acheteurs de cryptomeria de 2e classe étant entendu que toutes les grumes de 1re classe sont destinées à la scierie de Bourbon qui en scie de 7 000 à 8 000 mètres cubes chaque année. Sandrine, la cogérante et fille du fondateur Jacques, confirme que sa société a récupéré une trentaine de mètres cubes des billes de cryptomeria «post-incendie» et qu’il est envisageable d’en scier encore. «Mais, poursuit-elle. Au mieux, nous scions 100 m3 par mois. C’est minime par rapport à tout le bois coupé.»
Pourtant, depuis quelques semaines, elle sent souffler un bon vent sur le cryptomeria : «Beaucoup d’architectes veulent revenir au cryptomeria. Ce sera très bon pour le marché, quand il aura sa norme NF. L’étude du FCBA a même montré qu’il résistait mieux que le pin sylvestre car il a la particularité d’avoir une molécule qui tue les termites» . S’il doit se produire un essor du cryptomeria de construction, il se produira hélas trop tard pour les arbres brûlés et il risque d’être limité par la capacité de production de la forêt réunionnaise.
En effet, l’ONF ne parvient déjà pas à honorer le quota de 10 000 m3 de cryptomeria 1re classe qu’il est censé fournir à la scierie de Bourbon et 80% du cryptomeria à portée de piste a déjà été récolté. Les forêts de cryptomerias qui pourraient prendre le relais en matière d’exploitation ne sont actuellement pas accessibles. Les cryptos de Cilaos ne peuvent pas être sortis du cirque et ceux du plateau de Terre Plate à Salazie nécessitent, pour être évacués, la remise en service d’un câble, c’est-à-dire d’un téléphérique rudimentaire.